Le marché numérique ralentit et les ESN encaissent un choc inédit ; les signaux économiques s’accumulent, les projets glissent et les taux d’occupation reculent. Dans ce paysage troublé, les DSI scrutent chaque décision technique avec une précision chirurgicale. Les modèles historiques vacillent, tandis que de nouveaux arbitrages technologiques gagnent du terrain. La trajectoire du secteur bascule, et ce basculement redéfinit, de facto, le rôle stratégique des partenaires IT.
Un ralentissement structurel du numérique français : le panorama complet 2025

Un marché en net repli malgré un cycle d’investissement long
La dynamique du numérique français glisse vers un régime inférieur. Les indicateurs convergent : la croissance IT plafonne à +1,8 % en 2025, alors qu’elle culminait encore à +4,1 % fin 2024. Ce basculement traduit, de fait, une contraction de la demande adressée aux prestataires technologiques.
Les ESN encaissent la première vague. Leur activité décroche de –2,1 %, tandis que le conseil en technologies chute de –2,5 %. Ces deux segments subissent un ralentissement qui traverse l’ensemble du marché et pénalise les feuilles de route techniques dans les grands comptes.
Au sein des équipes, le recul du taux d’occupation confirme la réalité opérationnelle : 32 % des entreprises signalent un bench qui enfle, parfois brutalement. Cette situation fragilise les marges, accroît les tensions internes et contraint les DSI à des arbitrages plus stricts sur les projets de transformation.
A contrario, la demande issue de l’industrie manufacturière, de la banque ou du commerce se contracte. Ces secteurs gèlent leurs investissements, privilégient la continuité de service et restreignent les projets à visibilité courte. C’est la raison pour laquelle la chaîne de valeur des ESN se reconfigure sous la contrainte.
Les poches de croissance qui résistent
Une zone continue pourtant de progresser : le cloud. Le segment IaaS/PaaS bondit de +8,2 %, même si 3 points proviennent uniquement des hausses tarifaires. Le mouvement « move to cloud » persiste, mais son intensité n’alimente plus l’ensemble de l’écosystème.
Les éditeurs et plateformes conservent leur rythme, tirés par la valeur incrémentale des services managés. En revanche, cette impulsion ne diffuse pas vers les intégrateurs. Le marché privilégie désormais les ajustements de consommation plutôt que de nouveaux chantiers d’architecture.
Le cycle d’investissement s’étire, puis ralentit. Les DSI priorisent la rationalisation, les optimisations FinOps, la modernisation incrémentale. Les projets de réarchitecture complète reculent, au profit de séquences limitées et pragmatiques.
Un recul de l’emploi et un doute sur la capacité d’absorption des talents
Le marché du numérique perd 7 000 postes en 2024, un effacement brutal qui renvoie les effectifs à leur niveau de 2022 (666 000 salariés). Ce repli crée une rupture nette après plusieurs années d’expansion continue.
Les recrutements subissent une contraction marquée. 36 % des entreprises prévoient une réduction en 2025, signe qu’une partie du tissu économique installe une prudence durable. Les alternants, les jeunes diplômés et le pipeline écoles affrontent les effets les plus visibles de ce retournement.
Par ailleurs, les ESN ajustent leur pyramide de compétences et privilégient des profils immédiatement opérationnels. Les fonctions en montée rapide (data, cloud avancé, sécurité, FinOps) attirent davantage les investissements internes, au détriment des filières plus généralistes.
Décryptage : les causes profondes du ralentissement qui touchent les ESN

Les facteurs macro-économiques : inflation, arbitrages budgétaires et gel des investissements
Le ralentissement ne provient pas uniquement du secteur numérique. L’inflation renchérit les coûts d’exploitation dans l’industrie, la banque ou le retail. Ces filières révisent leurs priorités, limitent la prise de risque et referment l’éventail des investissements technologiques.
Le contexte politique ajoute une incertitude supplémentaire. Les DSI reportent les projets structurants, concentrent leurs budgets sur la stabilité opérationnelle et renvoient les transformations ambitieuses à des périodes plus lisibles. Cette mécanique freine la demande adressée aux ESN, de manière mécanique et immédiate.
Une transition technologique dissymétrique
L’IA générative capte l’attention, mais son adoption reste heurtée. 48 % des entreprises déclarent lancer des initiatives, alors que 47 % évoquent un manque de compétences. Cette tension réduit la portée réelle des projets IA sur le terrain.
Un modèle RH sous tension
Il faut le dire aussi, les équipes techniques évoluent au sein d’un environnement instable. Les spécialisations de niche profitent d’une demande soutenue, tandis que les profils généralistes rencontrent davantage de difficultés pour s’inscrire dans la dynamique actuelle.
Le turnover s’intensifie, car les entreprises se livrent une concurrence frontale pour les compétences rares.
Les DSI rapportent des écarts importants entre les profils requis et les profils disponibles. Le matching projet/profil devient un exercice complexe, parfois impossible dans des délais courts.
IA générative : entre opportunités réelles, risques et leviers de création de valeur

Pourquoi l’IA générative ne produit pas encore de croissance significative en ESN
Le marché parle d’IA générative à chaque conférence, pourtant la conversion en revenus réels progresse lentement.
Les compétences manquent : 47 % des organisations déclarent une pénurie de profils capables d’orchestrer des pipelines IA, d’ajuster des modèles ou de concevoir des garde-fous techniques.
Les cas d’usage se multiplient, mais leur granularité varie selon les équipes. Les DSI reçoivent des propositions hétérogènes, parfois séduisantes sur le papier, mais trop vagues pour engager un budget. La frontière entre innovation et expérimentation floue provoque un ralentissement des arbitrages.
Les risques juridiques et éthiques ajoutent une couche de prudence. Les clauses contractuelles évoluent, les politiques de confidentialité se renforcent et les directions sécurité réclament des audits systématiques. Pour autant, les clients n’abandonnent pas leurs ambitions : ils avancent avec une vigilance accrue.
Les segments où les ESN commencent à gagner des deals
Certaines verticales génèrent néanmoins des commandes tangibles. L’automatisation documentaire progresse rapidement : extraction intelligente, classification dynamique, résilience des workflows.
Les équipes DSI apprécient des solutions qui suppriment des heures de traitement manuel et fluidifient les chaînes métiers.
La génération de code assistée crée un nouvel espace concurrentiel. Les ESN structurent des offres autour de copilotes techniques capables d’accélérer la production applicative, de réduire les défauts de syntaxe ou d’améliorer la cohérence des architectures. Les équipes de développement gagnent en vélocité ; les DSI observent une réduction du time-to-delivery.
Les activités FinOps se transforment également. L’IA analyse des milliers d’événements cloud, propose des optimisations et détecte des dérives. Cette automatisation stratégique accorde aux ESN un rôle plus central dans la maîtrise des coûts numériques.
Les « ESN Augmentées » : un nouveau modèle d’entreprise hybride né du ralentissement

La fin du modèle linéaire “homme/jour” : naissance du “service augmenté + produit”
La pression sur les marges accélère la mutation du modèle ESN. Les structures les plus lucides combinent désormais trois actifs : des équipes expertes, des outils d’automatisation et des briques logicielles internes.
Cette hybridation transforme leur offre, qui ne repose plus uniquement sur du temps homme.
La facturation évolue en parallèle. Les clients paient une licence pour une brique logicielle, une capacité d’exécution pour des équipes, puis une valeur produite grâce aux modèles IA. Ce modèle hybride gagne du terrain, notamment dans les activités data ou FinOps où certaines ESN déploient déjà des actifs propriétaires.
Vers une ESN « plateformisée »
Certaines ESN structurent désormais des plateformes internes qui orchestrent talents, micro-services IA et ressources techniques. Ces “marketplaces maison” fluidifient la distribution des compétences, accélèrent la réutilisation des composants et réduisent les coûts de production.
Cette plateformisation induit un changement de posture. Les équipes abandonnent les développements ponctuels au profit de modules réutilisables. Les marges grimpent grâce à cette réutilisation systématique, parfois entre +20 % et +35 %.
ESN augmentées et politiques RH
Les consultants gagnent en impact grâce à des copilotes IA internes ajustés aux contextes métiers.
La productivité bondit. Certaines ESN observent des gains compris entre x1,4 et x2 selon les métiers. Les profils “middle”, souvent sous-valorisés dans les organisations traditionnelles, tirent un bénéfice direct de cette augmentation capacitaire.
Ce modèle renforce la rétention. Les collaborateurs accèdent à des outils avancés, montent en expertise plus vite et contribuent à des projets plus ambitieux.
Prévisions 2026 : à quoi s’attendre selon Numeum, KPMG et PAC ?

Scénario prudent : reprise limitée au S1 2026
Les acteurs du numérique tracent un horizon modéré. 42 % des entreprises interrogées prévoient un redressement au cours du premier semestre 2026, sans emballement spectaculaire.
Comme vu auparavant, les arbitrages deviennent plus rationnels, plus data-driven, plus exigeants envers les prestataires. Les ESN qui préservent une capacité d’exécution stable récupèrent en premier les projets différés. Le cycle repart, mais par paliers, sous l’effet d’une demande encore vigilante.
Scénario optimiste : accélération si les investissements en IA se concrétisent
Un scénario plus dynamique émerge si les entreprises enclenchent massivement l’industrialisation de l’IA générative. Cette trajectoire dépend de trois leviers structurants.
- Les compétences IA montent en puissance : orchestrateurs MLOps, architectes data, spécialistes sécurité IA. Plus ces expertises se diffusent, plus les projets gagnent en robustesse.
- La stabilisation économique joue un rôle décisif. Dès que les entreprises réduisent leur exposition au risque, elles réenclenchent des chantiers IA à grande échelle.
- Enfin, les politiques publiques orientent l’élan du marché. Une continuité sur le crédit impôt recherche, le statut JEI ou les programmes de souveraineté numérique accélère de facto l’adoption des technologies génératives.
Dans cette configuration, les ESN capables de proposer des offres packagées IA gagnent un avantage compétitif net.
2025, une année de consolidation annonçant un changement de paradigme pour les ESN
L’année 2025 marque indéniablement un virage pour le secteur. Le marché numérique traverse un ralentissement, mais ce repli produit un effet inattendu : il accélère la mutation des modèles économiques, techniques et organisationnels.
À l’échelle micro, les compétences avancées, la valeur générée par l’IA appliquée et la maîtrise des coûts deviennent les leviers structurants du pilotage IT. Les DSI redéfinissent leurs priorités, renforcent leurs exigences et sélectionnent davantage les acteurs capables d’industrialiser la performance.
À l’échelle stratégique, une perspective se détache : l’ESN augmentée. Ce modèle hybride — services, automation, actifs logiciels internes — redéfinit le rôle du prestataire technologique entre 2026 et 2030. Il promet une création de valeur soutenue, une différenciation nette et une résilience plus forte face aux cycles conjoncturels.