Le nouveau classement des ESN françaises 2025 ne ressemble plus à une hiérarchie figée mais à une scène en mouvement. Les géants vacillent, les nouveaux venus déboulent sans complexe, et l’IA s’invite au cœur de chaque stratégie. Sous la surface des chiffres, c’est tout un écosystème qui réinvente sa façon de produire, de recruter, de penser la valeur. Une mutation silencieuse, mais irréversible.
Un secteur secoué mais en mouvement : le contexte du classement 2025

Une année de turbulences pour les ESN françaises
Le millésime 2025 n’offre aucun répit aux Entreprises de Services du Numérique. Après une année 2024 marquée par un essoufflement brutal des commandes, la tension perdure.
Six dirigeants sur dix anticipent encore une contraction de la demande. Les DSI freinent les projets de transformation au long cours pour concentrer leurs budgets sur des opérations mesurables, à impact immédiat.
L’arbitrage est clair : l’exécution prime sur la vision. Les contrats à ROI rapide remplacent les feuilles de route pluriannuelles, et les prestataires capables de livrer vite, avec des modèles industrialisés, captent la croissance résiduelle.
Dans ce contexte, les ESN les plus performantes ne sont pas forcément les plus connues : elles sont celles qui traduisent la complexité technologique en efficacité opérationnelle.
Le marché reste pourtant loin d’une paralysie. Trois moteurs le maintiennent en mouvement :
- Les refresh d’infrastructures liés à la fin de vie de Windows 10, à la généralisation des PC « IA ready » et à la refonte des environnements datacenter.
- L’essor des services managés, qui garantissent la continuité et la sécurité d’un SI sans explosion des coûts internes.
- Les programmes de conformité, notamment la facturation électronique et la directive NIS2, devenus des chantiers incontournables.
Chaque levier dessine une recomposition silencieuse : les intégrateurs-distributeurs reviennent en force, les grands cabinets de conseil se repositionnent, et les DSI recherchent des partenaires capables d’exécuter à grande échelle sans perdre la maîtrise technique.
L’IA, levier de survie et d’accélération
L’intelligence artificielle n’est plus un sujet d’expérimentation : elle devient le cœur battant du modèle ESN. Sept dirigeants sur dix la placent en tête des leviers de croissance pour 2025.
L’IA infuse toutes les strates du delivery : génération de code, automatisation des tests, assistance proactive dans le support utilisateur, gestion prédictive des incidents, pilotage de la performance RH.
Sa contribution au chiffre d’affaires reste encore modeste — environ 5 % en moyenne —, mais sa courbe de progression explose. Les premiers bénéfices se mesurent dans les gains de vélocité et la réduction des coûts de run.
Les acteurs historiques ne s’y trompent pas :
- Capgemini déploie des AI Factories adossées à des modèles propriétaires.
- IBM France, fort de watsonx et de l’écosystème Red Hat OpenShift, consolide sa position sur le cloud hybride.
- Atos / Eviden investit dans l’IA souveraine et le calcul haute performance.
- Accenture industrialise son modèle Copilot for Delivery, déjà déployé dans plusieurs grands comptes.
Les datacenters deviennent eux aussi « AI ready » : interconnexions plus denses, refroidissement optimisé, GPU mutualisés, monitoring prédictif. L’infrastructure s’adapte pour accueillir une charge cognitive nouvelle, où la donnée circule autant que l’énergie.
Le classement 2025 des ESN et ICT françaises : stabilité au sommet, révolutions en dessous

Le Top 10 : les géants sous tension stratégique
La hiérarchie du marché français conserve en apparence ses piliers. En réalité, les équilibres internes bougent à vue d’œil.
Capgemini conserve la première place avec un chiffre d’affaires France de 4,38 milliards d’euros, mais le géant recule légèrement pour la première fois depuis cinq ans. Son empire reste solide, porté par ses pôles cloud, data et intelligence artificielle. Pourtant, la mécanique du conseil haut de gamme subit la frilosité budgétaire des DSI. Les projets se raccourcissent, les cycles s’érodent, et la transformation se segmente en livrables successifs plutôt qu’en programmes massifs.
Derrière, SCC France s’invite à la deuxième marche du podium avec 2,93 milliards d’euros, dépassant Accenture et Sopra Steria. Une progression spectaculaire de 7,7 %, tirée par une lecture pragmatique du marché : l’entreprise mise sur la logistique, la modernisation des environnements techniques et la fourniture de solutions concrètes plutôt que sur la transformation conceptuelle. SCC France incarne la résurgence du modèle intégrateur-distributeur, adossé à un delivery dense et mesurable.
Accenture et Sopra Steria, en revanche, subissent les effets d’un marché saturé par les offres d’intégration hybrides. Leur modèle « conseil + exécution » s’essouffle, victime de la prudence budgétaire des grands comptes et du ralentissement du secteur public. Sopra Steria, en particulier, perd 13 % de son activité France, retombant à la quatrième place, malgré une expertise historique sur les SI critiques.
Orange Business grimpe à la cinquième position, stabilisé à 1,8 milliard d’euros. Son recentrage sur la cybersécurité, la connectivité SASE et les services cloud managés lui offre un regain de traction. Sa transition interne reste complexe, mais l’entreprise semble avoir trouvé le bon point d’équilibre entre opérateur télécom et prestataire numérique global.
Enfin, le retour d’IBM France dans le Top 10 constitue l’une des surprises majeures de 2025. Après la scission avec Kyndryl, le groupe reconquiert une visibilité « base France » grâce à ses offres watsonx et Red Hat OpenShift, symboles d’un virage vers le cloud hybride et l’IA industrielle. L’entreprise capitalise sur les besoins croissants en modernisation de mainframe et en plateformes de données sécurisées.
Les positions paraissent donc stables ; la réalité, elle, est celle d’une polarisation : les géants qui industrialisent survivent, ceux qui stagnent s’érodent.
Le milieu de classement : industrialisation et spécialisation

Entre la 11ᵉ et la 20ᵉ place, le cœur du classement traduit un changement de paradigme.
Le « club des milliardaires » s’ouvre avec Computacenter (1,16 Md€) et Inetum (1,03 Md€). Ces deux acteurs incarnent la bascule vers un marché centré sur l’exécution et la récurrence. Computacenter conserve sa position grâce à sa maîtrise logistique et à ses partenariats technologiques multiples, alors qu’Inetum subit un recul de deux rangs, sanctionné par la contraction des budgets de transformation.
Les entreprises comme Cegedim (592 M€), Spie ICS (553 M€) et Kyndryl (520 M€) confirment cette tendance. Leurs revenus récurrents liés à la maintenance, à l’hébergement ou à la gestion documentaire se transforment en atout stratégique. La fidélité des clients prime désormais sur la conquête. Le run redevient roi.
Cette mutation marque le retour en grâce des modèles d’intégration robuste et d’industrialisation maîtrisée. Les ESN qui combinent delivery local et capacités de service centralisé — parfois en Europe de l’Est — trouvent un équilibre durable entre proximité et efficacité.
Nouveaux entrants et recomposition du Top 50
Sous le Top 20, la partie du classement la plus mobile dévoile une vitalité inattendue. 2025 voit surgir une génération d’acteurs qui capitalisent sur la spécialisation et la vitesse d’exécution.
- Tessi (23ᵉ, 488 M€) s’impose grâce à son expertise en BPO documentaire et transactionnel, dopée par les nouvelles obligations de facturation électronique.
- Inop’s (25ᵉ, 462 M€) s’affirme comme le champion du delivery flexible : un réseau de communautés d’experts mobilisables à la demande, structurellement adapté aux besoins volatils des DSI.
- Solutions30 (27ᵉ, 450 M€) confirme la renaissance du « field & edge » : interventions sur site, modernisation des postes, déploiements IoT.
- Heliaq (35ᵉ, 339 M€) et Inherent (37ᵉ, 304 M€), nées de carve-outs récents, incarnent la recomposition du paysage régional autour du cloud souverain et des services managés de proximité.
- Extia et Hardis Group bouclent la liste des entrants notables, portés par la supply chain, les clouds privés et des modèles à ROI court.
Le plancher d’accès au Top 50 grimpe désormais à 175 millions d’euros, soit +30 % en un an : un signal clair d’une sélection par la taille et par l’industrialisation.
Dans le même temps, plusieurs historiques quittent le classement : Devoteam, Smile, Claranet, INTM, Synchrone. Leur sortie ne traduit pas toujours une défaillance, mais souvent des périmètres revus ou des fusions qui redistribuent les volumes. Le marché se resserre : le simple maintien ne suffit plus.
Les lignes de force du marché ESN français en 2025

L’industrialisation comme mot d’ordre
Le mot d’ordre est clair : industrialiser ou disparaître !
Après des années dominées par le conseil en transformation, les ESN recentrent leurs efforts sur le delivery — mesurable, prédictible, réplicable. Le factory model s’impose comme l’architecture dominante du marché français. Il repose sur une triple colonne vertébrale : cloud, SecOps et DevOps industrialisé.
Le temps des grands projets ouverts, aux périmètres mouvants et aux cycles interminables, touche à sa fin. Les DSI réclament des livraisons continues, un pilotage en métriques tangibles et des ROI inférieurs à douze mois. La transformation se réinvente sous la forme de micro-services livrés en série, orchestrés comme des produits manufacturés.
Ce glissement structurel rééquilibre le marché. Les ESN généralistes ajustent leurs modèles autour d’offres « as-a-service », tandis que les acteurs d’infrastructure redeviennent stratégiques. Le delivery redevient une vitrine de savoir-faire, et non plus une commodité.
Dans le sillage de cette mutation, la valeur se déplace vers les chaînes d’exécution : intégrateurs, infogéreurs et spécialistes du run prennent l’avantage sur les structures trop conceptuelles. Les grands programmes de transformation, lourds et incertains, cèdent la place à des livrables séquencés et contractualisés. Les DSI veulent voir avant de croire.
La bataille du capital humain

Le capital humain demeure la variable la plus disputée du marché. Les profils cloud, data et cybersécurité atteignent des niveaux de rareté inédits. Les grilles de salaires s’envolent : +12 % en moyenne sur les fonctions d’architecture et +18 % sur la cybersécurité.
Les DSI affrontent une inflation salariale structurelle, tandis que les ESN doivent protéger leurs marges sans affaiblir leur attractivité.
Cette tension alimente un nouvel équilibre social. Les collaborateurs recherchent davantage qu’une rémunération : un environnement de progression, une éthique, une cohérence entre discours et pratiques. Les labels RSE, les politiques de diversité, et les engagements Green IT deviennent des critères de choix pour les talents seniors comme pour les jeunes diplômés.
Les ESN qui résistent à la fuite des compétences investissent dans trois leviers :
- La mobilité interne, pour fluidifier les parcours sans rupture hiérarchique.
- Le reskilling, afin d’adapter les équipes existantes aux nouveaux standards du delivery augmenté.
- Le projet de sens, au travers de missions à impact sociétal ou environnemental.
La fidélisation devient une stratégie d’ingénierie : comprendre, anticiper, calibrer.
En 2025, le leadership se mesure autant en capital humain qu’en capital technologique.