Un signal faible devenu impossible à ignorer. Le secteur IT, réputé pour son appétence constante au recrutement, commence à réviser ses priorités. Les talents sont toujours là, mais les opportunités se contractent, parfois brutalement. Ce changement de paradigme rebat les cartes des stratégies RH dans la Tech. Face à cette nouvelle donne, les décideurs doivent repenser leurs leviers d’attractivité et de croissance.
Contexte économique et sectoriel du numérique
Une croissance revue à la baisse
Le numérique, longtemps porté par une inertie de croissance, subit un coup de frein visible.
En 2024, la croissance globale du secteur a chuté de 5,8 % à 3,5 %. Cette révision brutale illustre un essoufflement généralisé, notamment chez les entreprises de services du numérique (ESN), dont la progression se limite à un maigre +0,7 %.
Le conseil en technologies, lui, plafonne à +1 %, révélant une saturation du modèle traditionnel basé sur la facturation au jour-homme.
La conjoncture ne joue pas en faveur du secteur. L’instabilité politique, conjuguée à un contexte économique incertain, entrave la capacité des DSI à anticiper, budgéter, planifier.
L’investissement IT ralentit, les décisions se figent. Les cycles d’achat s’allongent, les roadmaps techniques se fragmentent. Cette perte de visibilité modifie les dynamiques internes des directions informatiques.
Des segments de marché à vitesses multiples
En dépit du ralentissement global, certains marchés affichent une résilience remarquable.
Le cloud progresse de 27 %, porté par des architectures plus modulaires et l’essor des plateformes verticalisées. La cybersécurité confirme sa dynamique, avec une croissance de 11,9 %, tirée par la recrudescence des menaces et l’intensification des contraintes réglementaires.
Le Big Data (+15,7 %) continue d’alimenter la transformation des modèles d’affaires. L’intelligence artificielle, quant à elle, franchit un cap avec +5 %, malgré les freins liés à l’acculturation des équipes et aux cas d’usage encore mal identifiés.
Ralentissement des recrutements : chiffres, causes et conséquences

État des lieux des recrutements dans le numérique
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, près de 30 % des entreprises du numérique déclaraient avoir réduit, voire gelé totalement leurs recrutements.
Ce pourcentage représente un triplement par rapport à l’année précédente, selon les données de Numeum.
Deux catégories de professionnels subissent frontalement cette contraction :
- Les jeunes diplômés, souvent cantonnés à des processus de sélection interminables,
- Les profils en reconversion, qui peinent à faire valoir leurs compétences fraîchement acquises face à des critères d’expérience toujours plus rigides.
La tension ne provient plus d’un manque de candidats qualifiés. Le marché déborde de CV. Ce qui manque désormais, ce sont les projets.
Les feuilles de route se vident, les budgets se réduisent, les recrutements ralentissent.
Causes structurelles et conjoncturelles du ralentissement
Le premier levier enrayé n’est plus la chasse aux talents. C’est la capacité à générer du business.
Les ESN tournent au ralenti faute de commandes. Les directions IT réduisent la voilure. Les projets stratégiques se reportent ou se réévaluent en boucle. En parallèle, la conjoncture pèse lourd : incertitude réglementaire, tensions géopolitiques, ralentissement macroéconomique.
Les investissements technologiques ne disparaissent pas, mais ils se concentrent, se rationalisent. On ne déploie plus pour explorer. On investit pour performer, prouver, rentabiliser. Cette prudence transforme profondément la dynamique du marché.
De fait, le secteur entre dans une phase de transition. Le modèle basé sur la croissance linéaire et l’expansion RH systématique s’effrite.
Le numérique cherche un nouvel équilibre entre performance opérationnelle, innovation ciblée et sobriété budgétaire.
Les signaux faibles de reprise et les relais d’espoir

L’IA générative comme levier de productivité ?
En dépit du climat tendu, certaines technologies redonnent de l’élan aux décideurs. L’IA générative en fait partie.
Déjà intégrée ou prévue dans les offres de 76 % des éditeurs et plateformes, elle amorce une transformation discrète mais puissante des chaînes de valeur.
Les gains sont tangibles. Près de la moitié des entreprises ayant adopté cette technologie observent une hausse de productivité de 5 à 10 %, tandis que 26 % estiment ce gain entre 11 et 22 %. Des chiffres non négligeables dans un contexte où chaque point d’efficacité compte.
Pour autant, plusieurs freins demeurent :
- Des cas d’usage flous, peu industrialisés ;
- Une pénurie de profils formés à ces outils d’un nouveau type ;
- Un flou réglementaire alimenté par l’IA Act et les incertitudes éthiques qu’il soulève.
La technologie est prête. Le cadre ne l’est pas encore tout à fait.
Croissance verte et numérique responsable : un potentiel sous-exploité
Autre levier de transformation : le numérique responsable, dont le marché affiche une croissance annuelle de +27 %. Cette trajectoire impressionne, mais masque une réalité plus complexe. Peu d’acteurs structurent véritablement leurs démarches :
- 48 % des entreprises n’ont jamais réalisé de bilan carbone.
- 34 % ignorent si elles relèvent de la directive CSRD.
La maturité reste faible. Pourtant, la demande monte, poussée par les exigences des grands donneurs d’ordre et les engagements RSE. Les DSI anticipateurs peuvent y puiser des relais de différenciation, voire de croissance.
Perspectives 2025
Une reprise sans rebond
L’année 2025 ne marquera pas un retour fracassant à la croissance. Toujours selon les projections de Numeum, le secteur devrait progresser de +4,1 %, un chiffre modeste au regard des dynamiques passées.
Transformer la crise en transition
Ce ralentissement, s’il est bien lu, peut amorcer une mutation salutaire. D’abord sur le volet humain. Les stratégies de recrutement doivent s’adapter :
- Favoriser l’alternance pour renforcer les liens avec les viviers de talents,
- Investir dans la formation continue pour consolider les compétences en interne,
- Miser sur les parcours hybrides pour capter des profils à forte courbe d’apprentissage.
Sur le plan technologique, l’enjeu ne se limite plus à innover, mais à intégrer les technologies disruptives de façon ciblée :
- Automatiser avec pertinence via l’IA générative,
- Moderniser les infrastructures grâce au cloud,
- Réduire l’empreinte IT avec des approches d’éco-conception.
Enfin, renforcer les synergies entre acteurs publics et privés devient décisif. Subventions, appels à projets, accompagnement à la transformation… ces leviers collectifs dessinent les contours d’une relance plus ciblée, plus responsable, plus pérenne.
Les 3 points clés à retenir :
- Le ralentissement des recrutements dans le numérique constaté en 2024 traduit un changement de cycle davantage lié à l’atonie du marché qu’à une pénurie de talents.
- Certains segments comme le cloud, la cybersécurité ou l’IA générative continuent de croître, mais peinent à compenser la fragilité des ESN et du conseil technologique.
- Pour 2025, les DSI devront repenser leurs stratégies RH et technologiques en misant sur la formation, l’intégration ciblée des technologies émergentes et des partenariats public-privé plus opérationnels.